Edward Michaels - Fini

L'HABIT


Je ne sais pas trop quoi dire à propos de lui. La dernière fois que je l'ai vu, c'était il y a un an, peut-être un peu plus. Je ne sais pas ce qu'il est devenu. Mais bon, de ce dont je me souviens, il était plutôt du genre banal. Disons que ce n'est pas le genre de personne dont on se souvient si on la croise dans le métro, vous voyez ce que je veux dire ? Tout est autour de la moyenne chez lui. Un peu grand, mais sans que ça soit choquant, quelque chose comme 1,80 m je dirais. Pareil au niveau du poids, je ne pense pas qu'il soit en dessous de 70 et au dessus de 75 kg. Des cheveux bruns comme la plupart des gens, pas très longs sans êtres non plus trop courts, des yeux plutôt marron, pas très expressifs. Pour compenser ça, il avait toujours ce petit sourire un peu moqueur. Pas vraiment un sourire, juste un étirement des lèvres qui donnait l'impression qu'il se fichait du monde. Un truc parfaitement énervant. Quand on se connaissait, on avait l'habitude de faire du sport ensemble et il était pas trop mauvais. Plutôt athlétique, mais bon, il fallait le motiver. C'était le genre flemmard, celui du gars qui se balade avec les cheveux en bataille toute la journée, qui rentre pas sa chemise dans son pantalon, vous voyez ? C'est difficile de décrire quelqu'un comme ça, je pense que le meilleur moyen de savoir, ça sera quand vous vous approcherez de lui. Par contre, niveau caractère, ça je pourrai certainement mieux vous aider.


LE MOINE


Vous savez, dans une bande d'amis, il y a toujours des stéréotypes. Le gars populaire que tout le monde adore, celui qui est un peu bébête, le tout timide qui ose jamais rien dire mais qui est prêt à tout pour ses potes... Et puis il y a le « chef ». Personne ne l'a élu chef, personne ne dit qu'il est le chef, mais inconsciemment, tout le monde le suit. Ça, c'était Edward. Il avait beau jouer les durs, nous on savait que c'était plus un cerveau qu'une paire de poings. Il provoquait les ennuis et s'arrangeait toujours pour être à 10km de là lorsque que ça dégénérait. Il avait de mauvaise notes en classe, et ça m'étonnait vraiment, parce qu'il était réellement intelligent, ça se voyait. Aujourd'hui, je pense que c'est tout simplement parce qu'il n'avait pas la patience ou la maturité d'accorder de l'attention à ce qui ne l’intéressait pas. Sa passion, c'était les sciences, mais pas toutes les sciences. Ce qu'il aimait, c'était la microbiologie, la robotique, et tout ce qui tournait autour, rien d'autre. Aucun rapport entre les deux, mais c'était son truc à lui, sa passion. Il aimait bien plaisanter en racontant comment il réunirait les deux dans le futur pour faire un gigantesque robot cracheur de bactéries comme arme de destruction massive. Je n'ai jamais trouvé ça drôle. Peu de gens le trouvent drôle, il a son humour à lui. Un humour noir, cynique, d'un absolu mauvais goût. Pourtant, il a ses qualités. Si je devait en donner trois, je dirais honnête en premier. Pas honnête du genre Celui-Qui-Ne-Ment-Jamais, non, ça pour mentir, il était le roi. Mais jamais je ne l'ai vu voler ou tricher. Lorsque je lui en ai demandé la raison, il a fait une drôle de tête et s'est contenté de dire « Je n'y arrive pas, c'est tout ». Plutôt étrange. La seconde qualité que je lui donne, c'est l'implication. Pour peu qu'il s'intéresse à quelque chose, il le fait à fond. Le plus difficile, c'est de l'amener à s'y intéresser, justement. Enfin, pour finir, je dirais qu'il est très ingénieux. On le met en face d'une situation difficile et il trouvera toujours un moyen de s'en sortir d'une façon ou d'une autre. Les puzzles, les énigmes, il adore tout ça. Présentez lui un petit casses-tête et il s'emploiera à le résoudre. Il résout toujours, peu importe le temps que ça lui prend. Malheureusement, cette forme d'intelligence est certainement à la source de son plus gros défaut. Edward déteste quand quelque chose lui résiste. Il devient très agressif quand c'est le cas. Quand quelqu'un n'es pas d'accord, quand on essaie de le mettre en tord, ou tout simplement quand quelque chose ne lui convient pas, il devient tout de suite très désagréable. Il ne crie pas, ne frappe pas, jamais. Mais il ricane, persifle, attaque avec les mots les plus méchants possibles. Il est médisant, critique ouvertement les autres, et surtout, il rumine sa vengeance pendant des jours. Beaucoup trop susceptible, beaucoup trop rancunier. La haine s'installe trop vite en lui, et il a des pensées très violentes qu'il n'exprime jamais en face, mais qu'il confesse toujours tout bas devant ses amis. Même si je sais qu'il est incapable de se battre, je pense qu'il est capable de monter tout un stratagème pour arriver à ses fins. Avec tout ça, vous devez penser que c'est le pire gars du monde, mais non. Même si j'ai souvent été révolté par son comportement, je n'ai jamais pu m'empêcher de voir du bon en lui.
Quelques petites choses en plus ? Mmh, je sais qu'il n'aime pas tout ce qui est trop sucré et tous les comportements exubérants. En revanche, il aime bien tout ce qui fait réfléchir, je vous l'ai déjà dit. Et il a peur des orages et des gros chiens, mais ça, peu de chance que ça ait de l'importance pour vous. Sur ce...

Je m'appelle Edward Michaels. Je suis né à Nottingham, au Royaume-Uni, un 17 décembre. Aujourd'hui, cela fait exactement 2 mois que j'habite sur cette île, et apparemment j'en ai encore pour des années. Je meurs d'envie de vous raconter comment j'en suis arrivé là, même si c'est une longue histoire. Je pense que le mieux pour moi et pour vous, c'est que je commence par le tout début.
Il faut le dire, quand ma mère a su qu'elle était enceinte de moi, ça n'a pas vraiment été la joie. Il faut comprendre mes parents. Ma mère travaillait comme commerciale dans une grande agence de publicité et mon père était ingénieur en robotique dans une usine qui fabriquait des robots ménagers miracles, comme cette espèce d'aspirateur autonome, et autres. Pas de temps à accorder à un bébé, ça c'était certain. Quand je suis né, il ne s'est pas passé beaucoup de temps avant que ma mère ne reparte travaillé et que je sois laissé aux bons soins d'une super nounou. Ma petite enfance, ça a été ça. Mon père me déposait à la crèche (et plus tard à la maternelle, puis à l'école primaire), j'y passais la journée, et le soir la nounou venait me chercher. Bien sûr, je ne me rappelle pas de tout cela, on me l'a raconté. Tout ce que je sais de ma petite enfance vient d'un carnet que tenait ma nounou. Elle écrivait tout dedans, un récapitulatif de la journée adressé à mes parents. Au final, je pense que je l'ai lu plus souvent et avec plus d'attention qu'eux.


« Edward est un enfant très calme. Il ne crie que peu et ne demande pas les choses comme le font les autres enfants. S'il veut quelque chose, il tend la main, jusqu'à ce qu'on lui mette dedans ce qu'il veut. Il n'est pas intéressé par les jouets et les jeux des autres enfants à l'école. Lorsque que les autres jouent au ballon, il préfère aller s'asseoir dans la terre pour creuser. C'est une très mauvaise habitude. Aujourd'hui, la maîtresse a retrouvé deux vers de terre, quatre gendarmes et un papillon avec une aile arrachée dans la poche d'Edward et lui a fait la leçon à cause de la saleté. Il n'a pas pleuré, pas rouspété, et a jeté avec dédain les vers et insectes dans la corbeille de la classe. Il a refusé de m'en parler en rentrant. »


J'étais trop curieux comme enfant. Je passais plus de temps à tenter de découvrir de nouvelles choses plutôt qu'à essayer de comprendre celles que je connaissais déjà. En fait, je me sentais très seul. J'aurais adoré avoir un petit frère pour jouer avec moi, mais malheureusement, ça n'était pas dans les projets de mes parents. Je m'occupais comme je pouvais. Jusqu'au jour où je me suis mis à lire les livres du bureau de mon père. Je n'y comprenais rien du tout, mais il y avait de jolies images. J'avais 10 ans à l'époque, et quand je suis allé lui demandé de me lire un de ces livres, je pense qu'il s'est dit que peut-être, on allait pouvoir faire quelque chose de ce fils. Il a commencé à m'en parler, à me montrer de quoi il s'agissait, à m'expliquer. Il m'a même emmené à son travail une fois. C'est à partir de ce moment là que je me suis intéressé à la robotique. Ça m'a plu. Au collège, j'ai commencé à avoir de bonnes notes en maths et en physique, mais pas dans le reste. Une vraie brêle. Je n'avais pas beaucoup d'amis. J'étais un peu l'intello de service, celui qu'on trouve un peu bizarre et à qui on parle pas. C'est certainement pour ça que je me suis mis à détester tout le monde. Dans ma tête, je partais du principe que je n'aimais pas les gens, et que c'est eux qui devaient gagner mon estime. Mais personne n'en voulait de mon estime, les gens s'en fichaient comme de l'an 40. Heureusement, ça a changé au lycée. Je me suis trouvé une bande de copains avec qui je m'entendais bien. C'est aussi à partir de ce moment que j'ai commencé à m'intéresser aussi à la biologie. Enfin, pas à tout ce qui est gros, plutôt à ces petites choses qu'on ne voit pas à l'oeil nu. Ces trucs qui font quelques micromètres de long et qui vous tuent un homme en quelques jours. Fascinant à mes yeux. Rien ne m'intéressait en dehors de mes robots et de mes bactéries. Mes parents m'avaient offert un microscope, qui était peut-être le truc le plus génial que j'avais jamais eu. Je coulais des jours heureux. J'étais vaguement conscient de ce qu'il se passait dans ce monde. Oui, il y avait la guerre. Je ne me sentais absolument pas concerné. Après tout, qui s'en prendrait à un gosse de 17 ans ? Personnellement, je ne voyais pas l'intérêt de pourchasser les créatures qui vivaient également avec nous, tant qu'elles ne nous pourchassaient pas non plus. Heureusement, nous vivions dans un quartier relativement épargné, et tout cela n'a eu que peu de conséquence sur notre vie. J'ai passé mon diplôme, et j'ai ensuite fait trois ans d'étude de biologie, pour pouvoir ensuite me spécialiser dans la bactériologie. Malheureusement, on ne m'a pas laissé le temps. Un beau jour, voilà que mon père nous annonce une bien étrange nouvelle à table. Il a été promu pour un poste très prestigieux et extrêmement bien payé. On lui demandait d'intégrer une équipe scientifique chargée de créer, construire, programmer et entretenir des robots bien particuliers, ces nouveaux Androids. La pointe de la technologie, un robot qui développe une conscience. De la science-fiction. Une véritable merveille à mes yeux et à ceux de mon père. J'en bouillonnais de joie. Seul hic, il fallait déménager, et pas n'importe où. Quand elle a su qu'il fallait aller sur l'île où se trouvait Another, ma mère est devenue livide. Hors de question de bouger. Laisser comme ça son boulot, sa vie pour partir là-bas dans un endroit où vivaient ces créatures? Impensable. Il a fallu plusieurs semaines pour la convaincre, et finalement elle est venue, et nous avons embarqué.


Quand nous sommes arrivés, ça a été le choc. Déjà de voir que tout était calme, tout était beau, et surtout tout avait l'air d'être exactement pareil que partout ailleurs sur la Terre. Nous avons été installés dans une très belle résidence en centre-ville, à deux pas de là où travaillait mon père. Le premier jours, je me posais mille questions. Que se passera-t-il si nous ne nous adaptons pas ?Il n'y avait presque pas d'autres humains dans la ville, pourquoi ? Et si nous tombions sur quelqu'un dont la famille a été décimée par des humains et que nous soyons attaqués ? Je n'ai pas pu dormir. Pourtant, au bout de plusieurs semaines sans incidents, je me sentais chez moi. J'ai trouvé un petit boulot comme assistant de laboratoire dans une clinique qui fait aussi de la recherche. Je fais toutes sortes de choses. J'ai dû une fois aller tuer toute une portée de rats de laboratoire qui n'aurait pas dû naître. C'est tout bête. On met les rats dans une boîte avec un peu de gaz, on s'assoit sur le couvercle et on attend que ça bouge plus. Rapide, efficace, pas cher. La première fois que j'ai dû le faire, j'en ai récupéré un. Il était gros comme une souris et je l'ai glissé dans la poche. Toute la nuit, j'ai veillé sur lui, et j'ai cru qu'il était mort plus d'une fois. Mais il a survécu, et je l'ai appelé Sherlock. Un grand esprit celui-là. En dehors de ce travail, je m'occupe comme je peux. Je traîne, je me promène, je dessine de petits robots, même si je n'ai jamais eu l'occasion d'en construire un qui marche. Parfois, j'ai la chance d'accompagner mon père quand il travaille. Et je tente d'apprendre ce qu'il fait, en espérant pouvoir rejoindre l'équipe un jour moi aussi.

Another Day